Tuesday, July 19, 2005

Introduction au second groupe de formes[1] : « le Travail »



Avant que des lexèmes faisant référence au travail soient apparents dans la presse, il a fallu qu’en amont des dirigeants aient pensé à cette notion et que l’idée proposée ait été acceptée par une majorité de façon à pouvoir être mise en pratique. C’est une fois que ces étapes ont été franchies que l’on peut éventuellement trouver dans la presse des lexèmes relatifs au thème en cours. Si un protagoniste évoque une idée et qu’il a un certain pouvoir, il se peut qu’une occurrence apparaisse éventuellement dans le corpus mais ce sera une exception parce que d’autres personnalités vont tout de suite s’opposer à son projet. En Allemagne, sous l’influence nazie, l’organisation de l’appareil politique et social était assez « bonne » et le peuple considéré comme « uni ». De ce fait, la mise en pratique des idées conçues au sommet se faisait de façon quasi systématique et menait assez rapidement à l’apparition de lexèmes spécifiques dans les organes de presse. L’Alsace, en revanche, présente des différences par rapport à l’Allemagne en ce qui concerne de nombreux domaines (culturels, d’infrastructure, historiques, …). Un concept nazi venant du Reich va donc être plus difficile à mettre en pratique car beaucoup de choses ne sont pas encore réglées en Alsace telles que la nationalité non définie de ses ressortissants. Nous verrons par exemple comment le concept de « Travail » avec les sens « obligatoire » et « militaire » n’aura pas d’aboutissement sous forme de lexèmes dans les journaux tant que la notion qu’il évoque, la « Nationalité », restera problématique. Il faut donc réorganiser l’Alsace avant de pouvoir instaurer une quelconque forme de travail. Il est intéressant de se rendre compte de quelle façon cela va se dérouler et dans quel ordre les étapes vont se succéder. Nous mettrons donc en avant l’évolution du discours influencé par des facteurs extra-linguistiques typiques au cas alsacien.
Pour aborder et commencer à comprendre cette évolution discursive chaotique, nous allons analyser rapidement un lexème composé typique du discours nazi : Arbeitsgemeinschaft. Ce dernier montre que, selon le principe de la structure régressive de la proposition en allemand, le « déterminant » est : «-gemeinschaft » et le « déterminé » : « Arbeit », nous pouvons dire que dans l’esprit nazi, la notion de communauté est bien plus fondamentale que celle du travail. De ce fait, si la société n’est pas organisée et si sa nationalité demeure indéfinie, en principe la notion nazie du travail ne pourra pas être mise en place. Plusieurs tentatives seront cependant effectuées pour tenter de contourner les obstacles apparaissant et seront l’occasion de donner tour à tour au fil du temps différentes nuances sémantiques au concept, fait qui aboutit à la mise en place de véritables « chaînes lexicales » liant les lexèmes qui se ressemblent ou s’interpellent. Apparaissant avec peine dans la presse alsacienne, les termes issus du groupe « Travail », sont assez peu fréquents par rapport à l’Allemagne. Là encore, il faudrait pouvoir comparer les fréquences dans ce cas précis avec celles que l’on pourrait obtenir à partir d’extraits de presse allemande de l’époque, ce qui nous permettrait de mettre davantage en évidence cette particularité du discours nazi alsacien.
Contrairement à la première partie du mémoire où nous avons analysé la surface discursive apparente, nous allons nous intéresser dans cette partie à l’envers du décor. La technique qui consiste à présenter les mécanismes qui entraînent la formation d’un lexème est importante car ces derniers sont tributaires des spécificités alsaciennes (les dirigeants, le cadre culturel etc…). De plus, le fait que les mécanismes se bloquent souvent et n’aboutissent donc pas à la naissance concrète de plusieurs lexèmes repérables dans le corpus est un phénomène significatif et particulier au cas alsacien. Le but que nous nous sommes fixé est de mentionner des caractéristiques du discours nazi alsacien et, l’analyse des lexèmes ne se réduit pas à considérer leurs formes abouties, présentes dans le corpus, mais également les étapes précédentes et le contenu sémantique des formes inachevées, suite aux obstacles issus du contexte helvétique.
Pour bien saisir la notion de « Travail », nous allons d’abord la définir puis présenter les divers facteurs d’influence qui lui confèrent certains sens. Le discours va se modifier en fonction des avis divergents des personnalités politiques en puissance et de l’évolution du contexte général. A cette complexité, il faut ajouter les caractéristiques des mots de propagande fascistes qui évoluent également à la mesure de leur réciprocité et interdépendance, particulières à la « langue[2] nazie » et à ses dérivés comme nous aurons l’occasion de le remarquer dans ce qui suit. Ces multiples grilles d’analyse rendent le travail de constitution de ce nouveau discours, dont les composants font une apparition complexe, d’autant plus difficile.
Les dirigeants veulent bien sûr exploiter et se servir des Alsaciens tout comme de leurs propres compatriotes. Ils envisagent donc l’intégration de l’Alsace au Reich, mais en attendant qu’elle en soit capable, l’idée de les faire travailler en tant que « volontaires » : « Freiwillige » pour gonfler les rangs allemands émerge. Mais déjà, à cette proposition se confrontent des avis réticents. Certains se méfient de la loyauté alsacienne. D’autres se réjouissent de ce pas franchi puisqu’ils y voient l’amorce de l’intégration de l’Alsace au Reich qui leur tient à cœur. Le contexte militaire favorable, dans un premier temps, laisse à ce concept de « volontariat » le temps de s’épanouir momentanément avant que, rattrapé par d’autres nécessités, il ne se nuance l’année suivante en 1942. 1943 est l’année de la mise en application des mesures prises auparavant. C’est une année terrible de combats et de défaites avec son cortège de douleur. Une propagande nazie un peu moins contenue va soudain se déverser en Alsace. Comme ce changement de ton rend probablement l’évolution discursive entre 1942 et 1943 particulièrement importante, nous aurions pu mettre en avant cet aspect si nous avions eu à notre disposition un corpus bien plus vaste pour effectuer nos calculs.Nous empruntons donc dans cette seconde partie du mémoire un raisonnement civilisationniste et nous allons changer de plus notre manière d’appréhender le problème en reprenant l’analyse sémantique de Georges Kleiber et en utilisant une autre terminologie linguistique. Il s’agit désormais de parler de « référent » et des « sens » qu’il prend en rapport avec le contexte. Il est clair que cette approche diffère complètement des présentations dans les tableaux de la première partie. Mais elle nous permettra au final de mieux cerner les rouages des mécanismes lexicaux dans un discours de propagande. Il s’agira donc de présenter les « sens » que prend le référent « Travail » dans le cadre nazi alsacien et de montrer si ils aboutissent à l’apparition de lexèmes adéquats dans les SNN compte tenu de tous les obstacles qui peuvent intervenir. En montrant que la naissance de certains lexèmes dépend de l’apparition préalable de certains autres, nous prouverons l’existence de « chaînes lexicales » où certains éléments servent de « clés » pour ouvrir des « portes » c’est-à-dire permettre enfin la naissance de tous les lexèmes du référent initial.
[1] C’est une collection d’occurrences de différentes formes graphiques qui ont une caractéristique commune telle une connection sémantique ( comme la synonymie ).
[2] Langue : est un ensemble virtuel qui ne peut être appréhendé que dans son actualisation orale ou écrite tandis que le « discours » est un terme commode qui recouvre les deux domaines de cette actualisation.

Monday, July 18, 2005

Définition


En Allemagne nazie justement, précisons à quelle sorte de « travail » est astreint un citoyen. Un Allemand doit accomplir un service d’honneur qui se compose d’un service de travail puis du service « militaire ». En Alsace, un Reichsarbeitdienst[1] (RAD) a été mis en place le 8 mai 1941. Il possède déjà un caractère pré-« militaire »[2] qui permet la transition et la préparation au service militaire lui-même. Dans le cadre nazi, le travail se conçoit donc de deux façons distinctes, l’une est « civile » et l’autre est « militaire ».
Au départ les autorités allemandes comptent sur le volontariat de la population alsacienne mais au fur et à mesure que la guerre s’installe, le recrutement de volontaires se fait de plus en plus pressant et on exige bientôt une collaboration obligatoire. Une première grande campagne de volontaires est lancée en octobre 1941 après l’invasion des Balkans et de l’URSS[3]. Les résultats sont décevants et, fin août 1942, le service militaire obligatoire est institué et 21 classes d’âge sont recrutées[4]. Les deux autres nuances sémantiques que prend la notion de travail sont donc les suivantes : « volontaire » puis « obligatoire ».
Les confrontations entre les dirigeants mais aussi divers critères idéologiques nazis vont, les uns après les autres, empêcher ou permettre au concept d’aboutir à l’apparition définitive de lexèmes dans les SNN. Cet état de fait confère au référent un sens « valorisé » puis éventuellement « dévalorisé ». Dans le dernier cas, il n’y a que très rarement l’apparition de lexèmes spécifiques. A partir du moment où la valeur « positive » (ou le sens « valorisé ») n’est pas acquise, le lexème approprié n’apparaît pas dans la presse. Ce phénomène, caractéristique du discours étudié, s’explique de deux façons. D’une part, un discours de propagande évoluant dans un contexte fasciste laisse peu de place à la liberté d’expression et, d’autre part, un discours politique se veut « cohérent » et ne doit pas laisser entrevoir à la population tout le chaos des décisions politiques qui se contredisent même au sein d’un parti unique sous peine de ne plus être crédible au yeux du lectorat.
[1] Le « service du travail » qui constitue par ailleurs la première étape du « service d’honneur » ou Ehrendienst déjà appliqué en Allemagne nazie, la seconde étape étant le « service militaire » ou Wehrdienst. Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 20 à .22.
[2] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 30.
[3] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 23.
[4] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 40.

Sunday, July 17, 2005

Approbation

Au départ, c’est Wagner qui définit le sens du « Travail » en Alsace. Son influence se traduit que par la présence d’un lexème au sein de notre corpus et il s’agit de : Arbeitsdienst ou RAD[1]. Nous savons qu’en Alsace, le RAD donne aux nazis l’occasion de fidéliser d’ors et déjà une jeunesse qui doit prêter serment de fidélité au Führer et qui reconnaît ainsi son appartenance à l’Etat nazi[2]. D’autre part, quelques co-occurents présents dans l’entourage du pôle RAD laissent effectivement entrevoir cet aspect du référent c’est-à-dire une nature pré-militarisée[3]. On peut considérer dès lors que le groupe étudié prend une connotation militaire par l’intermédiaire des co-occurents contextuels dès cette époque même si c’est assez peu explicite au départ dans la presse. Nous n’avons en effet trouvé qu’un article y faisant référence à cette date (1942). Certains extraits de ce dernier montrent la nature « militarisée » du travail « volontaire » de jeunes filles dans un camp. Pour commencer, nous remarquons la présence du mot « Führerin » (responsable au féminin). Ce mot évocateur est tiré de celui du « Führer » lui-même, puisque tous les nazis se font les représentants d’Adolf Hitler (Führerprinzip). Cette Führerin accompagne (in Begleitung) des jeunes filles et supervise leurs activités.
Seit dem 9. November sind wir vereidigt. Mittags gingen wir spazieren in Begleitung unserer Führerin auf den Bismarckturm . Das ist eine schöne Aussicht (l. 17 à 20, 02/01/1942, SNN, p. 1, Meine schönste Zeit – der Arbeitsdienst)
Les jeunes filles elles-mêmes sont soumises à ce régime malgré qu’elles ne soient pas destinées à servir sous les drapeaux. Elles doivent faire du sport (Sport) et de l’éducation physique (Leibeserziehung). Elles ont un enseignement politique ou pratique (politische oder hauswirtschaftlich Schulung). On leur enseigne l’ordre et la ponctualité (Ordnung und Pünktlichkeit). On se doute dès lors que dans un camp pour garçons, davantage destinés à se préparer au service armé, le travail a au moins la même nature « militaire » si ce n’est plus.
Da vergeht die Zeit sehr schnell. Dreimal in der Woche haben wir Sport oder Leibeserziehung (l. 41 à 46)
Auch haben wir politische oder hauswirtschaftliche Schulung. Haben schon manches gelernt, überhaupt Ordnung und Pünktlichkeit. Abends um 9. Uhr gehen wir ins Bett (l. 46 à 49, 02/01/1942, SNN, p. 1, Meine schönste Zeit – der Arbeitsdienst)
On obtient des informations largement plus détaillées sur l’Occupation allemande en Alsace des années plus tard. Ainsi, un article de 1944 donne des précisions sur le vrai rôle du premier camp de travail (als erstes RAD-Lager) fondé quelques mois après la mise en place du RAD lui-même, à la mi-août 1941 (am 15. August 1941), à Benfeld en Alsace (das Lager Benfeld […] im Elsaß). Un responsable jette donc un coup d’œil rétroactif (warf dabei einen Rückblick) sur ce camp et sur sa vocation (Bestimmung) à ses débuts mêmes (auf die Anfänge).
[…] warf dabei einen Rückblick auf die Anfänge, als das Lager Benfeld als erstes RAD.-Lager im Elsaß am 15. August 1941 eröffnet und seiner Bestimmung übergehen werden konnte (l. 1 à 24, 16/03/1944, SNN, p. 1, Arbeit ist unentbehrliches Ethos für unser Leben)
A l’époque, ils avaient réussit à donner (zu gestalten) à ce camp l’allure d’une cellule reproductrice (eine Keimzelle) d’une société nazie (nationalsozialistischer Gemeinschaft) soit une microsociété nazie influente. Elle devait rayonner (auszustrahlen) aux alentours (in den umliegenden Ortschaften) pour influencer la population
Es sei ihr in dieser Zeit gelungen, aus dem RAD.-Lager Benfeld eine Keimzelle nationalsozialistischer Gemeinschaft zu gestalten und diese Haltung auf die Wirkungsstätte des Lagers in den umliegenden Ortschaften auszustrahlen (l. 63 à 69, 16/03/1944, SNN, p. 1, Arbeit ist unentbehrliches Ethos für unser Leben)
Ce qui suit contient enfin le lexème qui nous importe. La chef de camp avait un rôle politique (seinen politischen Auftrag). Les jeunes travailleuses (die Arbeitsmaiden) devaient aller dans les foyers et les familles (in die Häuser und Familien) et préparer le terrain (die Boden […] auflockern) pour le nouvel Etat (für die neue Staat) qui avait une vision du monde nazie (unserer nationalsozialistischen Weltanschauung). Ces jeunes filles ressemblent à des abeilles qui doivent répandre un message à des congénères ou alors à des fidèles religieuses qui répandent la parole du chef, le Führer (die Botschafterinnen des Führers). L’expression en gras nous indique bien que ce type de travail bien que « volontaire » est important en ce qui concerne son aspect guerrier : « kriegswichtiger »
Der Kreisleiter sprach die Erwartung aus, daß auch unter der neuen Lagerführerin, Frl. Jakobi, das Lager Benfeld seinen politischen Auftrag erfüllt. Die ArbeitsMaiden sollen als Botschafterinnen des Führers in die Häuser und Familien gehen und dort den Boden für die neue Staat unserer nationalsozialistischen Weltanschauung auflockern. So hatten sie gerade im Elsaß eine Aufgabe von kriegswichtiger Bedeutung (l. 91 à 101, 16/03/1944, SNN, p. 1, Arbeit ist unentbehrliches Ethos für unser Leben)
Une fois que le « volontariat » s’est mis en place, chacun des intervenants en Alsace va l’approuver différemment. Les SS[4] commencent le recrutement de volontaires dès la fin août 1940[5]. Wagner[6], le Gauleiter (administrateur de la région alsacienne) a la main mise sur sa presse et toutes les idées de propagande venant du Reich sont réajustées par ses soins pour le lectorat alsacien. Modifier l’Alsace et la rendre apte à une intégration au Reich allemand sont donc les tâches qui lui incombent et il souhaite les mener à terme plus rapidement que prévu[7]. Il aimerait honorer ainsi sa mission de façon remarquable. Il s’agit ici d’un intérêt personnel qui s’accorde aux desseins de l’idéologie nazie. Il encouragera toujours très fortement le « volontariat » des Alsaciens. Dans ce qui suit par exemple, il précise que le fait de répondre « volontairement » à l’appel de la nation allemande pour « sauver » l’Europe (zur Rettung Europas) est d’autant plus grand et beau (damit größer und schöner) lorsqu’il résulte de la prise de conscience de nos responsabilités individuelles (Verantwortungsbewußter).
Verantwortungsbewußter aber und damit größer und schöner ist es, freiwillig dem Rufe an die ganze deutsche Nation zur Rettung Europas zu folgen (l. 43 à 47, 21/01/1942, SNN, p. 2, Elsässische Jugend, tritt ein in den Kampf gegen Moskau !)
[1] Reicharbeitsdienst
[2] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 35.
[3] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 30.

[4] Schutzstaffel (section de protection) fondée en 1923 pour assurer la sécurité d’Hitler. Elle deviendra l’institution la plus influente et la plus meurtrière du régime nazi
[5] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 23.
[6] « de son vrai nom Backfisch, cet ancien élève-instituteur, né en 1895, originaire de la vallée du Neckar, rigide et même fanatique allait se dévouer sans subtilité à la libération de l’Alsace du joug cruel des Français ». C’est une citation décrivant Wagner et tirée de l’ouvrage suivant : Rigoulot P., l’Alsace-Lorraine pendant la guerre 1939-1945, p. 25 et 41.
[7] Rigoulot Pierre, l’Alsace-Lorraine pendant la guerre 1939-1945, p. 32.

Saturday, July 16, 2005

Refus de recruter des volontaires et solutions trouvées


Tout le monde ne va pas opter pour le « recrutement » de volontaires. Cependant nous ne verrons aucune contradiction à cet appel de volontaires à travers la presse même si en réalité il est confronté à des difficultés. Le gouverneur de l’Alsace est convoqué le 25 septembre 1940 à Berlin et on lui donne carte blanche pour réussir la germanisation[1] de l’Alsace en dix ans. L’OKW (Oberkommando der Wehrmacht) le désapprouve plutôt[2]. L’Etat Major allemand a gardé un mauvais souvenir des Alsaciens et ne se fie pas à leur loyauté dont il a eu à douter pendant la Première Guerre Mondiale. Même si cet avis s’oppose à celui de Wagner (le Gauleiter), il reste en accord avec les objectifs nazis qu’il compte mener à bien, fort de son expérience personnelle. A cette époque, le contexte est tel que la présence alsacienne dans les rangs allemands n’est pas indispensable. Puisque l’OKW n’en voit pas la nécessité pour l’instant, cette possibilité ne l’intéresse pas. Il refuse de donner au concept de « volontariat » une existence en Alsace. L’Etat Major fait alors passer une circulaire interdisant les engagements de volontaires dans la Wehrmacht en Alsace le 30 janvier 1941. Cette objection au recrutement de volontaires de la part de l’armée rend difficilement envisageable la mise en place d’un service militaire en Alsace dont rêve Wagner. Toutefois, le Gauleiter, désireux de poursuivre coûte que coûte la militarisation de la jeunesse allemande[3], va contourner l’objection de l’OKW. Si une incorporation dans la Wehrmacht n’est pas possible, il va la tenter dans une autre branche armée. C’est ainsi qu’il accepte la proposition de la SA (Sturm Abteilung[4]) de former une SA-Gruppe Oberrhein[5] (fin 1941). Nous n’avons pas trouvé ces lexèmes dans la presse mais ils sont présents dans le discours nazi alsacien de corpus d’autres natures. Mais son projet d’incorporer la jeunesse dans les SA-Wehrmannschaften[6] tombe finalement à l’eau. Ses supérieurs lui rétorquent qu’une obligation de service dans la SA requiert la possession de la « nationalité » allemande : Ohne Reichsangehörigkeit bestand keine Wehrpflicht [7] et que l’engagement d’un individu dans cette branche armée ne peut être que la conséquence d’un choix personnel[8]. Pas question d’incorporer massivement des jeunes dans ce corps spécialisé si ce choix ne vient pas d’eux et s’ils ne sont pas Allemands. Seule la possession « Staatsangehörigkeit » justifierait une incorporation de masse.
Pour résumer les premières étapes historiques qui ont fait évoluer le concept de « Travail », nous avons décidé de les faire apparaître dans un tableau au sein duquel nous mentionnerons entre autres choses des lexèmes propres au discours étudié et tout le contenu sémantique de ceux qui n’ont pas abouti.
[1] Rigoulot Pierre, l’Alsace-Lorraine pendant la guerre 1939-1945, p. 32.
[2] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 22. L’OKW est l’Etat Major de l’armée allemande. Pendant la Première Guerre Mondiale, il a pu constater la réticence de nombreux Alsaciens à combattre sous les drapeaux allemands. Ces derniers ont souvent déserté ou refusaient d’obéir aux ordres. L’éventualité d’incorporer les Alsaciens dans l’armée allemande pendant la Seconde Guerre Mondiale ne plaît donc pas à l’OKW au début.
[3] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 30.
[4] Section d’assaut (branche militaire nazie)
[5] un groupe des sections d’assaut du Haut-Rhin
[6] Unité de défense intérieure contrôlée par les SA mais n’en faisant pas partie.
[7] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 33.
[8] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 30.

Friday, July 15, 2005

Tableau récapitulatif et sémantique (1) voir le tableau dans la colonne de droite.


Le référent « Travail », appartenant à la réalité conçue comme telle par l’esprit de l’homme, présente des sens différents[1]. Ces derniers évoluent relativement au contexte et nous avons placé dans la colonne de gauche du tableau ci-dessous les différents protagonistes et enjeux idéologiques ou autres qui ont fait varier tout à tour la conception du groupe « Travail » en 1942. Ces nuances sémantiques peuvent éventuellement mener à l’apparition de nouveaux lexèmes au sein du discours dans la presse. Ceux que nous trouvons sont liés entre eux puisqu’ils ont la même origine (le référent « Travail »). Cette méthode permet de mieux comprendre l’évolution du discours. On peut citer l’exemple de Wagner qui, intervenant deux fois (voir les mentions Wagner 1 et Wagner 2 du tableau), contribue de ce fait à nuancer le sens du référent initial en passant de « Freiwillige » à « SA-Gruppe Oberrhein ». Dans le tableau, nous avons choisis les sens « volontaire »/ « obligatoire », « civil »/ « militaire », « valorisé »/ « dévalorisé » qui concernent tour à tour les lexèmes ou syntagmes en rapport avec le volontariat. Dire qu’à certains moments le référent a un sens « valorisé » revient à dire que le concept de travail, accepté par tous, peut être suivi d’une mise en pratique induisant également l’apparition de lexèmes spécifiques au sein de la presse et c’est assez peu fréquent car les journaux ont bien sûr passé sous silence les problèmes et les conflits entre les dirigeants. Nous nous sommes efforcés d’analyser les nouveaux référents en rapport avec les sens « volontaire »/ »obligatoire » etc… initialement prévus pour le premier référent : « Travail ». Il apparaît que les lexèmes qui y correspondent sont à concevoir dans cette triple alternance de variation sémique. Par exemple, le service militaire est « obligatoire », « militaire » (mais concerne aussi le recrutement de « civils ») et, initialement « dévalorisé », il va finir par se « valoriser » quand il sera institué.
C’est donc par la suite – comme nous l’avons déjà vu, que l’urgence des besoins en hommes pousse les autorités à envisager plus sérieusement la contribution des Alsaciens. Aussi, les campagnes de recrutement de volontaires prennent plus d’ampleur. Leurs résultats, insatisfaisants, poussent les Allemands à envisager le service militaire obligatoire ou une incorporation forcée pour recruter un maximum de classes d’âge. Volonté qui se heurte à la nature indéfinie de la nationalité des Alsaciens à l’époque. D’ailleurs, dans la colonne de droite, se trouvent répertoriés les référents qui sont aussi sollicités dans la chaîne de pensée nazie. La citation qui suit montre qu’en 1942 lorsqu’on veut faire travailler ou collaborer « Mitarbeit » les Alsaciens et que les évènements se précipitent « Kriegsereignisse », on songe dès lors à l’introduction du « Wehrpflicht » et à l’octroi de la nationalité allemande « Staatsangehörigkeit » -les deux étant liées, pour parvenir à exploiter davantage les habitants.
Wir müssen unser Heimatrecht im Großdeutschen Reiche durch unsere tätige Mitarbeit erkämpfen. Im einzelnen behandelte der Kreisleiter noch die jüngsten Kriegsereignisse, die Einführung der Wehrpflicht im Elsaß, die Verleihung der deutschen Staatsangehörigkeit und die Aktivierung des Opferrings (06/09/42, SNN, p.7, Heimatrecht durch Mitarbeit erkämpfen)
Le tableau permet une rapide visualisation des variations sémantiques de quelques lexèmes de propagande, « des connexions »[2] (relations de dépendance symbolisées par des flèches) entre les éléments et, la compréhension que le problème de la « nationalité » est désormais essentiel. On suppose que tant qu’aucune solution ne lui sera trouvée, aucune issue ne sera possible pour faire progresser l’incorporation des Alsaciens. Nous présupposons dès lors que bien d’autres problèmes vont être soulevés et bien d’autres étapes franchies avant que le service militaire lui-même ne devienne un jour obligatoire.
[1] Georges Kleiber, Problèmes de sémantique, p. 24 et 25.
[2] G. Siouffi et D. Van Raemdonck, 1OO fiches pour comprendre la linguistique, chapitre sur Tesnière, p. 200 à 201.

Thursday, July 14, 2005

Volonté d’instituer le service militaire perdure


Comme les projets de Wagner vont bien au delà de l’idée de « volontariat » et qu’il garde toujours le projet d’introduire le service militaire obligatoire en Alsace, il ne s’arrêtera pas à ce problème de « nationalité ». D’ailleurs il décide même de préparer le recensement dans ce but[1]. Si une population doit être amenée à intégrer une nation, elle doit pouvoir la défendre. Selon lui, les jeunes Alsaciens doivent donc être amenés à faire leur service national dans les rangs allemands afin que les deux populations s’ « uniformisent ». Il s’agirait pour lui de l’ultime étape du processus d’intégration de l’Alsace au Troisième Reich qui permettrait d’affirmer et de crédibiliser son assimilation idéologique, culturelle et sociale[2]. Voici un extrait où s’exprime Wagner qui prétend qu’il serait plus simple (einfacher) d’introduire le service militaire obligatoire pour tous (allgemeinen Wehrpflicht) sous entendu en Alsace. Il ne précise pas qu’à l’heure où il s’exprime, c’est loin d’être évident justement et qu’il doit se contenter de « volontaires » en attendant[3].
Einfacher ist es, der allgemeinen Wehrpflicht Folge zu leisten (l. 42 et 43, 21/01/1942, SNN, p. 2, Elsässische Jugend, tritt ein in den Kampf gegen Moskau !)
La seconde occurrence du lexème Wehrpflicht apparaît en 1943, date à laquelle la mise en pratique est enfin effectuée. En attendant, s’il paraît en 1942, çà n’est que parce que Wagner évoque un souhait. D’autres occurrences simultanées ne sont pas possibles car les autres protagonistes s’opposent à son projet.
[1] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 32.
[2] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 21 et 23
[3] La suite de la citation mentionnée ci-dessus a déjà été évoquée quelques pages plus haut : Verantwortungsbewußter aber und damit größer und schöner ist es, freiwillig dem Rufe an die ganze deutsche Nation zur Rettung Europas zu folgen (l. 43 à 47, 21/01/1942, SNN, p. 2, Elsässische Jugend, tritt ein in den Kampf gegen Moskau !)

Wednesday, July 13, 2005

Le contexte militaire : une occasion pour l’incorporation


En fait, ce sont d’autres facteurs détaillés plus loin qui vont rendre la mise en application de l’ « incorporation » dans l’armée nécessaire aux yeux de tous. L’OKW accepte les « volontaires » dans ses rangs et c’est un nouveau pas franchi. Au début de 1942, on prétend que des centaines d’Alsaciens (Hunderte von Elsässern) sont volontaires (Freiwillige) au front (in der großen Front). Le recrutement de volontaires par la Wehrmacht a commencé.
Seit Beginn des Kampfes im Osten stehen bereits viele Hunderte von Elsässern aus eigenem Entschluß, als Freiwillige, Seite an Seite mit den Männer aller anderen deutschen Gaue in der großen Front gegen den Feind (l. 31 à 36, 21/01/1942, SNN, p. 2, Elsässische Jugend, tritt ein in den Kampf gegen Moskau !)
Penchons nous sur les évènements militaires de cette année là et sur les dispositions prises par les différents dirigeants. La guerre sur le front russe a commencé et les besoins en hommes sont plus pressants. L’attitude de la Wehrmacht change quelque peu dès l’invasion des Balkans puis de l’URSS en juin 1941[1]. D’ailleurs, Goebbels annonce peu de temps après, c’est-à-dire le 11 février à Berlin, l’entrée du Troisième Reich dans une phase de guerre totale. L’Allemagne va essuyer un peu plus tard ses premiers revers sérieux notamment à Stalingrad le 22 novembre 1942. Le Reich va donc tout mettre en œuvre pour que l’effort de guerre soit maximal. Une semaine plus tard, Wagner reprend les thèmes du discours du Ministre de la Propagande cité précédemment en les adaptant à la région dont il a la responsabilité[2]. Il s’agit désormais d’un discours de propagande totalitaire et le ton se durcit[3]. Nous n’aurons pas l’occasion d’estimer de façon significative les nuances entre les fréquences des lexèmes d’une année sur l’autre car, ces derniers sont peu nombreux à l’époque et, de plus, notre corpus est trop restreint pour pouvoir en comptabiliser suffisamment. Pour finir, les campagnes de recrutement de volontaires, assez décevantes, vont encore faire accélérer les prises de décisions. Le recrutement de « volontaires » va s’intensifier davantage en attendant de pouvoir mettre en place, ce que tout le monde souhaite désormais, c’est-à-dire une « incorporation massive » et pour cela « forcée » d’Alsaciens. L’exemple suivant s’appuie sur la possibilité censée être motivante de ressembler aux générations précédentes « Söhne/ Väter » de nationalité allemande, en tachant de se montrer aussi dignes « würdig erweisen » qu’elles, en portant l’uniforme militaire allemand « im feldgrauen Rock ».
Kreisleiter Pg. Sauerhöfer sprach zu den Gestellungspflichtigen - Wehrdienst ist Ehrendienst am Volk
Mit dem Eintritt der jungen Elsässer als vollwertige Deutsche in die deutsche Wehrmacht schließt sich ein großer geschichtlicher Kreis. Das junge Elsaß reicht unsichtbar den Vorfahren die Hand und schlägt für die Zukunft die Brücke zum Reich, auf der das ganze Volk heimkehrt. Der Beitrag des Elsaß in der kämpferischen Gemeinschaft erfolgt um seiner selbst willen und diese Erkenntnis wird tiefste Verpflichtung für die Söhne °sein, sich ihrer Väter im feldgrauen Rock würdig zu erweisen. (04/09/1942, SNN, p. 7, Das junge Elsaß tritt zum Wehrdienst an).
En attendant que ces souhaits se réalisent , le « volontariat » continue à être encouragé de plus belle[4]. La volonté d’ « incorporation » massive se trouve quant à elle confrontée au problème de « nationalité » toujours non résolu, les référents s’interpellant entre eux le long d’une chaîne de pensée. La situation se bloque encore. Comment le problème que soulève la présence du nouveau référent « Staatsangehörigkeit » va t’il se régler ?
[1] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 23.
[2] Saisons d’Alsace, 1943 La Guerre Totale, p. 24.
[3] Saisons d’Alsace, 1943 La Guerre Totale, p. 29.
[4] Saisons d’Alsace, 1942 l’Incorporation de force, p. 23.