Introduction au second groupe de formes[1] : « le Travail »
Pour aborder et commencer à comprendre cette évolution discursive chaotique, nous allons analyser rapidement un lexème composé typique du discours nazi : Arbeitsgemeinschaft. Ce dernier montre que, selon le principe de la structure régressive de la proposition en allemand, le « déterminant » est : «-gemeinschaft » et le « déterminé » : « Arbeit », nous pouvons dire que dans l’esprit nazi, la notion de communauté est bien plus fondamentale que celle du travail. De ce fait, si la société n’est pas organisée et si sa nationalité demeure indéfinie, en principe la notion nazie du travail ne pourra pas être mise en place. Plusieurs tentatives seront cependant effectuées pour tenter de contourner les obstacles apparaissant et seront l’occasion de donner tour à tour au fil du temps différentes nuances sémantiques au concept, fait qui aboutit à la mise en place de véritables « chaînes lexicales » liant les lexèmes qui se ressemblent ou s’interpellent. Apparaissant avec peine dans la presse alsacienne, les termes issus du groupe « Travail », sont assez peu fréquents par rapport à l’Allemagne. Là encore, il faudrait pouvoir comparer les fréquences dans ce cas précis avec celles que l’on pourrait obtenir à partir d’extraits de presse allemande de l’époque, ce qui nous permettrait de mettre davantage en évidence cette particularité du discours nazi alsacien.
Contrairement à la première partie du mémoire où nous avons analysé la surface discursive apparente, nous allons nous intéresser dans cette partie à l’envers du décor. La technique qui consiste à présenter les mécanismes qui entraînent la formation d’un lexème est importante car ces derniers sont tributaires des spécificités alsaciennes (les dirigeants, le cadre culturel etc…). De plus, le fait que les mécanismes se bloquent souvent et n’aboutissent donc pas à la naissance concrète de plusieurs lexèmes repérables dans le corpus est un phénomène significatif et particulier au cas alsacien. Le but que nous nous sommes fixé est de mentionner des caractéristiques du discours nazi alsacien et, l’analyse des lexèmes ne se réduit pas à considérer leurs formes abouties, présentes dans le corpus, mais également les étapes précédentes et le contenu sémantique des formes inachevées, suite aux obstacles issus du contexte helvétique.
Pour bien saisir la notion de « Travail », nous allons d’abord la définir puis présenter les divers facteurs d’influence qui lui confèrent certains sens. Le discours va se modifier en fonction des avis divergents des personnalités politiques en puissance et de l’évolution du contexte général. A cette complexité, il faut ajouter les caractéristiques des mots de propagande fascistes qui évoluent également à la mesure de leur réciprocité et interdépendance, particulières à la « langue[2] nazie » et à ses dérivés comme nous aurons l’occasion de le remarquer dans ce qui suit. Ces multiples grilles d’analyse rendent le travail de constitution de ce nouveau discours, dont les composants font une apparition complexe, d’autant plus difficile.
Les dirigeants veulent bien sûr exploiter et se servir des Alsaciens tout comme de leurs propres compatriotes. Ils envisagent donc l’intégration de l’Alsace au Reich, mais en attendant qu’elle en soit capable, l’idée de les faire travailler en tant que « volontaires » : « Freiwillige » pour gonfler les rangs allemands émerge. Mais déjà, à cette proposition se confrontent des avis réticents. Certains se méfient de la loyauté alsacienne. D’autres se réjouissent de ce pas franchi puisqu’ils y voient l’amorce de l’intégration de l’Alsace au Reich qui leur tient à cœur. Le contexte militaire favorable, dans un premier temps, laisse à ce concept de « volontariat » le temps de s’épanouir momentanément avant que, rattrapé par d’autres nécessités, il ne se nuance l’année suivante en 1942. 1943 est l’année de la mise en application des mesures prises auparavant. C’est une année terrible de combats et de défaites avec son cortège de douleur. Une propagande nazie un peu moins contenue va soudain se déverser en Alsace. Comme ce changement de ton rend probablement l’évolution discursive entre 1942 et 1943 particulièrement importante, nous aurions pu mettre en avant cet aspect si nous avions eu à notre disposition un corpus bien plus vaste pour effectuer nos calculs.Nous empruntons donc dans cette seconde partie du mémoire un raisonnement civilisationniste et nous allons changer de plus notre manière d’appréhender le problème en reprenant l’analyse sémantique de Georges Kleiber et en utilisant une autre terminologie linguistique. Il s’agit désormais de parler de « référent » et des « sens » qu’il prend en rapport avec le contexte. Il est clair que cette approche diffère complètement des présentations dans les tableaux de la première partie. Mais elle nous permettra au final de mieux cerner les rouages des mécanismes lexicaux dans un discours de propagande. Il s’agira donc de présenter les « sens » que prend le référent « Travail » dans le cadre nazi alsacien et de montrer si ils aboutissent à l’apparition de lexèmes adéquats dans les SNN compte tenu de tous les obstacles qui peuvent intervenir. En montrant que la naissance de certains lexèmes dépend de l’apparition préalable de certains autres, nous prouverons l’existence de « chaînes lexicales » où certains éléments servent de « clés » pour ouvrir des « portes » c’est-à-dire permettre enfin la naissance de tous les lexèmes du référent initial.
[1] C’est une collection d’occurrences de différentes formes graphiques qui ont une caractéristique commune telle une connection sémantique ( comme la synonymie ).
[2] Langue : est un ensemble virtuel qui ne peut être appréhendé que dans son actualisation orale ou écrite tandis que le « discours » est un terme commode qui recouvre les deux domaines de cette actualisation.